Stephen King est devenu l’auteur américain le plus lu de ses vingt dernières années. Ses livres d’horreur, comme Carrie, Shining ou Misery ont été adaptés au cinéma avec plus ou moins de succès. Avec La Ligne Verte, il s’est affirmé dans un nouveau style : la littérature engagée et réaliste. Curieusement, King a rarement abordé le mythe du vampire, et les personnes qui le connaissent un peu ne lui attribue qu’un seul roman vampirique, Salem.
Style
Le style de Stephen King est désormais connu : empreint d’une modernité et d’un humour décalé. King dépeind l’amérique du vingtième siècle avec talent, en passant des bouseux aux jeunes en blouson noir.
Salem est très bien écrit, c’est une chose incontestable. Dès la première scène, l’ambiance est là. Ben Mears roule dans sa voiture, sur l’autoroute, il épluche les journaux à chaque arrêt. La trame est posée : qui est donc cet homme ? Et ce gamin qui roule avec lui ? Où vont-ils ? Que fuient-ils ? Toutes ces questions n’auront leurs réponses qu’à la fin du roman. Suspens donc.
On s’attache aussi assez facilement au personnage de Ben, même s’il n’est pas des plus original, King mettant souvent en scène des personnages d’écrivains. Mais dans la petite bourgade paumée de Salem, les mêmes habitants ne cessent de se recroiser, et on finit par tous les connaître, et par vivre la vie du village. Alors quand l’un des gamins meurt, c’est un de nos voisins qui semble mourir !
Tradition ?
Modernité donc, il n’y a pas à dire. Cependant, King s’inscrit dans la longue tradition de romans vampiriques l’ayant précédé.
Je ne puis que vous conseiller, si vous aimez Stephen King, ses Anatomie de l’horreur où il parle de son métier, de ses influences, de la genèse de ses livres, et oh ! surprise ! le nom de Dracula, film ou livre, revient énormément. King est inspiré par les romanciers noirs américains, Poe et Lovecraft en tête, mais aussi par la culture jeune des sixties, c’est à dire les premiers comics et les films de Christopher Lee.
Mais avec Salem, c’est au passé qu’il va rendre hommage. Depuis Dracula, les œuvres vampiriques se sont succédées, mais aucune n’arrive à la hauteur du chef-d’œuvre, à part peut être Je Suis Une Légende de Richard Matheson.
King se dit que le secret est là : il faut changer d’époque ! Le vampire du XIXème siècle a été épuisé et abusé. Comme le dit King lui-même, “Il y a les châteaux, les landes. Je ne vis pas dans ce monde là. Je vis dans un monde de petites villes, d’Américains modernes, d’automobiles, de drive-in, de Mac Donald, de Burger King, de boulodromes.”
Il est donc nécessaire de moderniser le mythe. Pour cela, il s’inspire évidemment de Matheson. Il se fixa pour but de mélanger deux mondes, le monde de l’horreur romantique de Mary Shelley et Sheridan Le Fanu ([Carmilla->104], 1872), au monde actuel américain. L’idée fut donc de transporter un vampire en Amérique. Ainsi fut créé le personnage de Barlow, vampire venu d’Europe dans la bourgade paumée qu’est Jerusalem’s Lot. Ce personnage est un vampire dont le discours final fait directement référence à Lovecraft et la théorie des Dieux Anciens agissant dans l’ombre. Typiquement Xxème siècle !
Autres références citées par King : Christabel de Coleridge, Dracula de Stocker, Le Rameau d’Or de Frazer, Varney le vampire, le vampire de Düsseldorf… Toutes ces références sont clairement annoncées dans Salem par Matt, l’un des personnages, qui fait des recherches à la bibliothèque. Mais encore une fois, sans surprise, Dracula est l’œuvre majeure qui a influencée King : il en reprend le mouvement (découverte du monstre/chasse au monstre). C’est de manière lente, progressive, et savamment orchestrée que le vampire se révèle à nos yeux. Il en résulte un effet bizarre et réussi, mélange entre le roman gothique et l’univers des comics (le vampire est un personnage récurrent des BD américaines).
Ce qui est purement moderne en revanche, c’est l’ajout du chien crucifié sur la grille du cimetière et les réactions des villageois : on parle d’un complot satanique. Belle référence aux chrétiens intégristes !
Un vampire crédible
Barlow est un vampire tout à fait crédible : on y retrouve les ingrédients de Dracula : mystère sur les origines du personnage, sur son âge, sur ses buts, un serviteur humain, une force physique, une intelligence hors norme, une odeur de mort, une passion pour les rats, une misanthropie. Comme pour Lucy, la victime du vampire devient vampire elle aussi, avec des pouvoirs moindres. Le vampire revient voir sa famille, ses proches, pour les tuer afin de se nourrir. On les repousse avec de l’ail, une rose, de l’eau courante, ou par des symboles religieux. Enfin, on les tue au pieu.
A noter tout de même, ici la foi n’est plus nécessaire pour vaincre un vampire, nous sommes au Xxème siècle tout de même, et le père Callahan est réduit à une simple goule, esclave du vampire Barlow. Il suffit d’avoir foi en soi, non plus en Dieu.
La comparaison avec Dracula va plus loin, King avoue même avoir consciemment repris des épisodes de Dracula : la scène où l’une des héroïnes est tuée à coups de pieu renvoie à la mort de Lucy, la brûlure du père Callahan lorsqu’il entre dans l’église renvoie à la cicatrice de Mina causée par l’ostie.
Note : 8/10
Ben oui, j’ai beau adorer King, il a écrit des choses bien meilleures. On apprend peu de choses sur le vampire finalement. On pourra apprécier que King fut l’un des premiers, après Richard Matheson, à transposer brillamment le vampire à notre époque. Anne Rice sortira son livre (Entretien avec un vampire) un an plus tard.
En attendant, King nous pond un livre agréable à lire mais pas mémorable. Pour l’info, sachez que contrairement à ce que l’on pense, King a aussi écrit quatre nouvelles sur les vampires : Un dernier pour la route, paru dans Danse Macabre, est la suite directe de Salem. Les autres sont Popsy et Le Rapace Nocturne (parus dans Rêves et Cauchemars) et Les Petites Sœurs d’Elurie parue dans Tout est fatal.
RESUME
Ben Mears, écrivain à succès, revient dans sa ville natale après une rupture difficile. En arrivant à Jerusalem’s Lot, dite “Salem”, ses souvenirs oubliés ressurgissent, et notamment le vieux manoir abandonné, Marsten House.
Les premiers jours de son arrivée, il cherche à acheter la baraque, réputée hantée (ben voyons…), mais pas de bol, elle vient tout juste d’être rachetée par Strarker et Kurt Barlow, deux commerçants venus d’Europe et qui viennent d’ouvrir à Salem. Tandis que le jeune homme retrouve son village d’antan, il rencontre dans un parc la belle Susan Norton, dite antivirus (désolé…).
Mais quelques jours plus tard, des trucs bizarres ont lieu : un chien est retrouvé embroché sur la grille du cimetière, un gamin disparaît et son frère tombe dans le coma… Ben, qui n’est pas bête, pense tout de suite aux habitants de Marsten House, Strarker et son associé Barlow que personne n’a jamais vu. Mais les habitants de Salem le soupçonnent aussi, car ici, on aime pas les nouveaux.
Bref, quelques morts et disparitions de gamins plus tard, les soupçons de Ben se confirment : il y a un vampire à Salem !
Pour en savoir plus, le site Litteratures de l’imaginaire nous propose une belle étude sur Salem.